Pour le culte du 16 juin 2024 au temple du Mont sur Lausanne, j’ai invité Anat Rosenwasser, une artiste peintre de confession juive. Depuis plusieurs années, elle réalise des tableaux avec la calligraphie hébraïque.
Je lui ai demandé de peindre en hébreu le verset 6 du psaume 34 que Chantal m’avait confié il y a quelques années, en me demandant d’en faire le thème de ses funérailles si elle devait partir avant moi:
« Ceux qui regardent vers lui, sont radieux ». הביטו אליו ונהרו (« Habitou elav venaharou »)
Durant ce culte, Anat a expliqué son œuvre (voir ici son explication) ; puis j’ai médité sur le sens de ce verset. Visionner le culte sur YouTube
Je commencerai par donner quelques indications de lecture du psaume, d’où est tiré ce verset. Puis je partagerai mon chemin spirituel depuis le départ de Chantal vers l’autre vie.
David et Abimelek.
Ce psaume parle de la délivrance d’un danger : « Un malheureux a crié au secours ; le Seigneur l’a entendu, il l’a sauvé de toutes ses détresses ». (v.7)
Le premier verset rappelle un épisode de la vie de David quand celui-ci a été délivré d’une grande frayeur : « De David. Lorsqu’il simula la folie devant Abimélek, que celui-ci le chassa et qu’il s’en alla ».
Les frayeurs du psalmiste correspondent à la grande crainte qu’a éprouvé David quand il était aux mains de son ennemi et que Dieu l’en avait délivré. (1S 21,13).
Ce psaume affirme donc la confiance en un Dieu vivant, personnel et qui intervient dans nos vies.
Mais, pour faire l’expérience de son amour, il faut quelques conditions, à commencer d’avoir confiance en Lui, ou comme le dit le verset sur lequel nous méditons, de « regarder vers Lui ».
Regarder vers Lui, chemin vers le bonheur
Mais, que veut dire ce verbe « regarder », alors que Dieu est invisible.
Le psaume 34 va l’expliciter avec le verbe « craindre ». Regarder vers Dieu, cela signifie le « craindre ». Ce psaume met l’accent sur ce verbe, comme le psaume précédent, d’ailleurs.
Mais surgit alors une autre question : que signifie cet autre verbe : « craindre ». Faut-il le comprendre dans le sens d’avoir peur ? Ou autrement ?
« En fait, loin d’être une peur, la crainte de Dieu est le fondement d’une vie heureuse et le plus sûr chemin d’un avenir qui, malgré les difficultés », conduira au bonheur, dit Jean-Luc Vesco (Le Psautier de David I, Le Cerf, Paris, 2006, p. 318)
Regarder vers Dieu, c’est le craindre. Et cela consiste à :
- Avant tout l’écouter dans sa Parole : « Venez, mes enfants, écoutez-moi ! Je vous apprendrai la crainte du Seigneur. » (v. 12)
- Le chercher par la prière et en accomplissant ses commandements en l’aimant de tout son cœur et en aimant son prochain comme soi-même. Se tourner vers Dieu signifie aussi se tourner avec bienveillance vers son prochain. C’est l’essentiel : « J’ai cherché le Seigneur et il m’a répondu » (v. 5),
- Faire de lui le vrai centre de l’existence, en le bénissant en tout temps et en tout lieu : « Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps, sa louange sans cesse à la bouche » (v.2) Le tableau d’Anat avec en son centre le mot אליו (Elav : « vers Lui ») l’exprime magnifiquement: c’est Dieu, et non pas nous, qu’il faut mettre au centre de nos vies.
-Surtout surveiller sa bouche : « Quelqu’un aime-t-il la vie ? Veut-on voir des jours heureux ? Garde ta langue du mal et tes lèvres des médisances » (v. 13-14). Parler avec vigilance est un des enseignements majeurs des sages d’Israël.
Être radieux et déborder de joie
La promesse à ceux qui tournent son regard vers le Seigneur est de rayonner de joie. En fait, le verbe Naharou que l’on traduit par « être radieux » ou « rayonner de joie » vient de nahar, la rivière. Une autre traduction serait donc : ceux qui tournent leur regard vers Lui, déborderont d’eau vive.
On pense à la parole du Psaume 23, où David dit : « Tu m’accueilles en versant sur ma tête de l’huile parfumée. Tu remplis ma coupe, elle déborde » (v.5).
Et je pense aussi à la déclaration de Jésus : « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive jailliront de son cœur, comme dit l’Écriture » (Jean 7,38)
D’autres promesses magnifiques sont données à la personne qui regarde vers Lui :
- Dieu pourvoit à ses besoins : « Les lions connaissent le besoin et la faim, mais rien ne manque à ceux qui cherchent le Seigneur. (v. 11). « Rien ne manque à ceux qui le craignent »
- Dieu la fera vivre longtemps et « voir des jours heureux » (v. 13). La crainte de Dieu conduit à un chemin parfois difficile, mais elle rend Dieu toujours présent.
- Dieu la délivre de la peur « il m’a répondu, il m’a délivré de toutes mes terreurs ». (V. 5).
- Dieu la sauve de la détresse : « Un malheureux a appelé : le Seigneur a entendu et l’a sauvé de toutes ses détresses ». (v. 7,19)
- Dieu protège les justes (v. 16,20,22), alors que qu’il hait le mal qui conduit au malheur (V.14,15,17,20,22)
- Enfin, Dieu « veille sur tous ses os, pas un seul ne s’est brisé » (v. 21), comme ne l’étaient pas ceux de l’agneau pascal (Ex 12,46). Ce psaume a été compris, dans l’Évangile de Jean, comme une prophétie de Jésus, fils de David, à qui les soldats n’ont pas brisé les os quand ils ont constaté sa mort sur la croix : « Cela est arrivé pour que soit accomplie l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé ». (Jean 19,36).
Chez le prophète Jérémie, c’est dans les temps messianiques que nous rayonnerons de joie. Il utilise le verbe Naharou pour le dire : « Oui, le Seigneur libère Israël, il le délivre d’un ennemi trop fort pour lui. Ils arriveront en criant de joie sur la montagne de Sion ; ils déborderont de joie… Alors les jeunes filles danseront de joie, de même que les jeunes gens et les personnes âgées désormais réunis. En effet, déclare le Seigneur, je changerai leur tristesse en allégresse ; je les consolerai de leurs chagrins, je les remplirai de joie » (Jérémie 31,11-13).
Celui qui a toujours été tourné vers Dieu est Jésus. Avec lui, les temps messianiques sont déjà là. Et par sa résurrection, il déborde de joie.
Et, puisqu’il est ressuscité, c’est déjà maintenant que, nous aussi, pouvons déborder de joie, si nous nous tournons vers lui et vivons en son nom.
Un appel
Le psaume alterne les verbes à l’indicatif : Dieu sauve, délivre, écoute, c’est sa promesse.
Mais ailleurs, les verbes sont à l’impératif. Le psalmiste appelle à écouter Dieu, à le rechercher de tout notre cœur et à vivre en lui faisant confiance et en respectant sa Parole. L’indicatif devient un impératif.
Il voudrait que tous fassent son expérience de libération et de salut. Il souhaite que tous se tournent vers Dieu, et ainsi débordent de joie C’est pourquoi, il appelle à écouter. « Venez, mes enfants, écoutez-moi! Je vous apprendrai la crainte du Seigneur » (v. 12).
C’est un appel passionné que Jésus fera tant de fois : lui aussi appelle à bien écouter : « Que celui qui a des oreilles, qu’il écoute ! », dit-il à plusieurs reprises. (cf. Matthieu 11,15)
Comment ai-je vécu cette parole?
Inutile de vous dire que le verset de ce psaume m’a habité durant tout le chemin que j’ai vécu après le départ de Chantal. C’était comme si l’Esprit saint m’appelait, à travers elle, à le vivre de manière particulière.
Il a mis sur mon chemin cette Parole que je l’ai vécu de manière intense, au moins à quatre reprises.
Taizé
D’abord les frères de la communauté Taizé m’ont invité à un séjour d’une semaine chez eux. Chaque matin, une partie de ce psaume 34 était chantée !
Deux autres chants m’ont particulièrement touché, alors que je cherchais la face du Seigneur :
Ce verset d’un psaume : « O Mon maître, tout mon désir est devant toi ; pour toi mon soupir n’est point caché » (Psaume 38,10)
Et ces paroles de Dietrich Bonhoeffer, chantées en allemand :
« Dieu, rassemble et tourne mes pensées vers toi !
Auprès de toi se trouve la lumière, tu ne m’oublies pas.
Auprès de toi se trouve le secours.
Auprès de toi se trouve le pardon.
Je ne comprends pas tes voies, mais toi tu connais le chemin pour moi ».
Ralligen
Un mois plus tard, j’ai passé quelques jours dans la communauté des « Christusträger », à Ralligen, au lac de Thoune. Le psaume 34 était chanté tous les soirs dans la haute chapelle.
Et, durant la nuit, je me réveillais pour redire et méditer la parole qui ne cessait de m’habiter : « ceux qui se tournent vers lui, rayonnent de joie ». Il me semblait vivre l’appel de l’apôtre Paul : « Que la parole de Christ habite parmi vous abondamment » (Colossiens 3,16).
N’est-ce pas extraordinaire que, précisément, matin et soir à Taizé comme à Ralligen, ce psaume 34 soit chanté chaque jour, alors qu’il y a 150 psaumes ? Je l’ai reçu comme un signe d’encouragement de la part de la bonté de Dieu.
Jérusalem
A Jérusalem, j’ai vécu ce verset du psaume, à deux moments particulièrement marquants. Tout d’abord, j’aimerais dire qu’il me paraissait clair de m’y rendre pour Pâques, malgré la situation actuelle de guerre. Parce que c’est à Jérusalem que Chantal et moi avons vécu notre voyage de noces et notre première fête de Pâques ensemble.
Comme nous avons participé aux « Montées de Jérusalem », presque chaque année, ces quinze dernières années, j’y ai de nombreux amis, tant du côté juif, que du côté arabe.
Je les ai visités et souvent, j’ai « pleuré avec ceux qui pleurent », et ai perçu une grande tristesse, de part et d’autre. Mais j’ai aussi reçu beaucoup de bienveillance et de prières.
Dans l’Anastasis : « Regarder vers Lui »
J’avais décidé de passer une nuit dans la Basilique de la résurrection, « l’Anastasis », où se trouve le Saint Sépulcre, le tombeau du Christ. Il est, en effet, possible de prier toute la nuit en ce lieu, en s’inscrivant à la sacristie des Franciscains. Les portes se ferment à 21.00 et se rouvrent à 5.00. Il y a deux temps de prière : de 1.00 à 2.00 avec l’Église orthodoxe grecque ; de 4.00 à 5.00 avec les Arméniens.
Je voulais faire cette expérience pour « tourner les regards vers le Seigneur » avec plus d’intensité, et je m’attendais à ce qu’il me parle. En fait je voulais vivre la première partie de la Parole que je médite avec vous. Mais ce que j’ai vécu a été plus que surprenant: déroutant !
J’étais assis en face du Saint Sépulcre. Peu avant la prière d’une heure du matin, un moine grec m’a demandé sur un ton sec de partir. Comme j’ai tardé à le faire, il m’a proprement « engueulé ». J’étais choqué : comment est-ce possible de se comporter ainsi à l’endroit le plus sacré de la chrétienté ! J’ai alors escaladé les escaliers menant au Golgotha pour épancher mon cœur devant le Seigneur, lui disant mon trouble ! J’ai ouvert mon petit Nouveau Testament et je lis ce verset qui, dès lors s’est imprimé en moi : « Avant tout, ayez un amour ardent les uns pour les autres » (1 Pierre 4,8).
A travers cet incident, le Seigneur, me semble-t-il, me redisait avec force, que « se tourner vers lui », implique aussi se tourner vers chaque prochain dans l’amour. Et j’ai commencé à prier pour ce moine qui m’a manqué de respect. Qu’il lui manifeste sa miséricorde !
La prière avec les moines arméniens à quatre heures était heureusement tout autre : ils m’ont admis dans leur cercle, pendant leurs mélodieux chants à quatre voix. J’étais quand même content que les portes se rouvrent à cinq heures du matin et n’ai pas tardé à regagner mon appartement dans la vieille ville de Jérusalem.
Monastère d’Abu Gosh : « des fleuves d’eau vive »
Ce monastère se trouve dans une ville à 95% musulmane, avec vocation d’être auprès d’eux « une présence fraternelle », mais également d’être « à l’écoute du mystère d’Israël ». C’est pourquoi de nombreux juifs le visitent. J’avais terminé mon séjour à Jérusalem par deux jours dans ce lieu. J’y ai visité frère Olivier, un des moines bénédictins avec qui je me suis lié d’amitié depuis quelques années.
Il m’a invité à un entretien dans le jardin dédié à Mgr Lustiger, l’ancien archevêque de Paris, d’origine juive. Ce dernier a souligné combien il est important pour les chrétiens d’être conscients de leurs racines juives. Il a notamment écrit :
« Le christianisme est indissolublement lié au judaïsme. S’il s’en sépare, il cesse d’être lui-même ».
« Le devoir du judaïsme est d’accomplir la justice. Dans ce but, Dieu a donné au peuple juif les commandements. Le christianisme en a hérité ». (Jean-Marie Lustiger, Osez croire, Centurion, Paris, 1985, p. 90, 92)
Durant notre conversation, Frère Olivier a mentionné un verset du prophète Esaïe qui dit : « A Jérusalem, vous serez consolés » (Es. 66,13). Au même moment, j’ai senti comme un jaillissement dans mon cœur. J’ai perçu clairement que la consolation agissait en moi. Je vivais la parole du psaume 34 qui promet un débordement de joie à celui qui se tourne vers lui. « Des fleuves d’eau vive »coulaient de mon sein!
Revenu dans ma chambre, j’ai ouvert ma bible pour lire le verset en entier :
« Oui, comme une mère console son enfant, moi aussi, je vous consolerai. À Jérusalem, vous serez consolés »
Conclusion : rayonner de joie
Pour conclure, j’aimerais vous redire à vous aussi l’appel que le psalmiste adressait à ses enfants: « Venez, mes enfants, écoutez-moi« . Tournez-vous vers le Seigneur dans la foi et la confiance! Ne tardez pas, prenez maintenant cette décision! Et tournez-vous les uns vers les autres, dans le pardon et l’amour! Aujourd’hui est le moment favorable pour se réconcilier!
« Ceux qui regardent vers lui, sont radieux ». Vivons cette parole inspirée! Si nous la vivons en nous efforçant à garder entre nous l’amour réciproque, le Ressuscité vivra en nous et parmi nous. Sa lumière et sa grâce rayonneront et nous transformeront, avec des fruits magnifiques.
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