dimanche 12 janvier 2014

Jésus, un grand artiste.

Jésus et la femme adultère, d'après Harry Anderson
Dans le récit de la rencontre entre Jésus et la femme adultère, Jésus fait le geste inattendu de se baisser et d'écrire sur le sol. Ce geste est dans la ligne des actes symboliques des prophètes d'Israël. Dans la deuxième partie de cet article j'avance que ces gestes ont également une dimension artistique. 


Il y a une trentaine d’actes symboliques accomplis par les prophètes. Ces récits qui nous paraissent étranges transmettent par le geste la révélation de Dieu donnée au prophète. Dieu en effet transmet sa révélation non seulement à travers sa Parole, mais aussi par des actions. Voici quelques actes prophétiques :
Le prophète Ahiyya déchire son manteau pour annoncer à Salomon que son Royaume sera divisé à cause de ses fautes (1 R 11,29-39)
Esaïe se promène à moitié nu pendant trois ans pour annoncer que l’Egypte sera dépouillée ; par conséquent une alliance d’Israël avec elle est illusoire (Es 20,1-6)
Jérémie brise un vase pour annoncer que Dieu brisera l’orgueil de son peuple (Jr 19,1-15)
Les gestes de Jésus évoquent ceux des prophètes. Samuel Amsler, ancien professeur d’Ancien Testament à Lausanne et auteur d’un livre sur les Actes prophétiques, remarquait que : « les actes de Jésus méritent d'être placés dans le prolongement des actes des prophètes de l'Ancien Testament… Le récit de la passion, avec ses notations sur le silence de Jésus au tribunal du grand-prêtre (Mc 14,61) et surtout son évocation de la mort de Jésus en croix, devient le récit de l'acte prophétique par excellence, avec son insondable effet de provocation et d'appel à la foi. Peut-être que tous les actes des prophètes de l'ancienne alliance n'ont fait que préparer cet acte-là, qui est le cœur de la révélation biblique » (Les actes des prophètes, Genève, Labor et Fides, p. 81)
Comme les prophètes, Jésus utilise le geste pour nous faire comprendre l’amour de Dieu, qui s’adresse à tous, n’exclut et ne juge personne définitivement.
Par ses actes, il dénonce la tendance humaine de juger, de marginaliser, de trouver des boucs émissaires.
En lavant les pieds de ses disciples, il réalise un extraordinaire geste prophétique, qui soutient sa parole sur le commandement nouveau de l’amour réciproque.
En prenant une coupe durant son dernier repas et en la faisant passer entre ses disciples, en leur demandant de faire cela en mémoire de lui, il réalise aussi un geste prophétique d’une force incroyable. Autour de sa table, on ne pourra désormais légitimer aucune exclusion au nom des différences de classe, de race, de sexe, de culture, d’opinion politique…
Revenons à notre texte. Le geste de Jésus devant la femme a un effet provocateur. En se penchant vers la terre, il a déstabilise ses ennemis et les renvoie à leur propre nature terrienne. Eux aussi sont tirés de la glaise. Eux aussi sont agités par les mêmes désirs et pulsions. C’est leur propre vérité que Jésus écrit sur cette terre.
Nous ne savons pas ce que Jésus a écrit sur le sol, mais peut-être que l’indication qu’il écrivait avec le doigt renvoie au récit du livre de l'Exode, où il est dit que le doigt de Dieu a écrit les dix commandements sur les pierres.
Jésus ici écrit la loi nouvelle du pardon et de la miséricorde, qu’il incarnera et révèlera dans toute sa vie, mais en particulier sur la croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’il font ».
Ce récit illustre la parole du prologue du même évangile de Jean : « La loi été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ». En effet Jésus va plus loin que la loi, il manifeste la grâce et la miséricorde de Dieu à cette femme et l’appelle en même temps à le suivre en vérité.
Ce geste de Jésus de se baisser vers le sol conduit aussi à souligner la force de sa parole qui fait prendre conscience de la dureté du cœur : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Le geste et le silence de Jésus donnent force à sa parole. Une parole qui pardonne et réintègre cette femme et l’appelle à le suivre : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va et ne pêche plus » !
Jésus, comme tous les prophètes avant lui, dénonce par des gestes prophétiques le mépris de l’humain, la convoitise, l’oubli que chaque personne est créée à l’image de Dieu. Il dénonce l’injustice et l’impiété, à savoir d’utiliser Dieu pour parvenir à ses propres fins égoïstes.
Il appelle à l’unité, à une communauté qui accueille et pardonne à celui qui a fait une faute, une communauté qui inclut l’étranger, qui visite le prisonnier, qui prend soin du malade, qui protège la vie quand elle fragile, particulièrement à son commencement et à sa fin.
Il appelle à résister à la violence, à l’avidité, à l’esprit de jugement et de vengeance, à une interprétation étroite de la loi.
Y-t-il une place dans ta communauté pour les marginalisés ? C’est la question qu’il nous pose toujours, car pour lui, ils sont au centre. Jésus appelle sans cesse à se décentrer de soi-même et à se centrer sur lui. Il nous attend dans le culte et la prière, certes, mais aussi dans la vie fraternelle et dans les plus fragilisés  


Acte prophétique et art

J'aimerais maintenant un lien entre ce texte et l’art.
L’art a une fonction semblable aux actes prophétiques. On pourrait même dire que les actes prophétiques sont des actes artistiques. Jésus, dans cet épisode de la femme adultère agit comme un grand artiste.
En effet, devant le piège tendu par ses ennemis, Jésus fait un geste qui les provoque, les étonne. Il ne répond pas par une argumentation que les gens n’auraient pas entendue.
Provoquer une réflexion, susciter l’étonnement, n’est-ce pas une des fonctions de l’art ?
En se baissant et en écrivant sur le sol, il communique sur un autre registre, non verbal. Il intrigue, déplace, éveille. Par son silence, il établit aussi un espace de silence extérieur, qui prépare les personnes à recevoir une parole d’autant plus percutante.
L’art, comme le geste prophétique, interroge, éveille et conduit à approfondir et méditer.
L’art opère une coupure avec le temps. On peut rester longtemps devant une peinture. Dans notre récit de la femme adultère amenée à Jésus, le geste de Jésus introduit cette coupure avec le temps. Ses adversaires sont obligés de s’arrêter, de regarder, de réfléchir. Son geste « artistique » met le holà à leur voracité.
Souvent dans l’Eglise, le discours et l’écoute sont privilégiés au détriment des autres sens. Or les arts conduisent à creuser la Parole et servent de tremplin au silence. Ils nous introduisent à la dimension contemplative, essentielle dans notre société si agitée. Ils enracinent en nous l’Evangile de manière profonde et sont des merveilleux vecteurs pour transmettre l’amour de Dieu.

Martin Hoegger 

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