Jésus et la femme adultère, d'après Harry Anderson |
Il y a une
trentaine d’actes symboliques accomplis par les prophètes. Ces récits qui nous
paraissent étranges transmettent par le geste la révélation de Dieu donnée au
prophète. Dieu en effet transmet sa révélation non seulement à travers sa
Parole, mais aussi par des actions. Voici quelques actes prophétiques :
Le prophète Ahiyya déchire
son manteau pour annoncer à Salomon que son Royaume sera divisé à cause de ses
fautes (1 R 11,29-39)
Esaïe se promène à moitié
nu pendant trois ans pour annoncer que l’Egypte sera dépouillée ; par
conséquent une alliance d’Israël avec elle est illusoire (Es 20,1-6)
Jérémie brise un vase pour
annoncer que Dieu brisera l’orgueil de son peuple (Jr 19,1-15)
Les gestes de Jésus
évoquent ceux des prophètes. Samuel Amsler, ancien professeur
d’Ancien Testament à Lausanne et auteur d’un livre sur les Actes prophétiques,
remarquait que : « les actes de Jésus méritent d'être placés dans le
prolongement des actes des prophètes de l'Ancien Testament… Le récit de la
passion, avec ses notations sur le silence de Jésus au tribunal du grand-prêtre
(Mc 14,61) et surtout son évocation de la mort de Jésus en croix, devient le
récit de l'acte prophétique par excellence, avec son insondable effet de
provocation et d'appel à la foi. Peut-être que tous les actes des prophètes de
l'ancienne alliance n'ont fait que préparer cet acte-là, qui est le cœur de la
révélation biblique » (Les actes des prophètes, Genève, Labor et
Fides, p. 81)
Comme les prophètes, Jésus
utilise le geste pour nous faire comprendre l’amour de Dieu, qui s’adresse à
tous, n’exclut et ne juge personne définitivement.
Par ses actes, il dénonce
la tendance humaine de juger, de marginaliser, de trouver des boucs émissaires.
En lavant les pieds de ses
disciples, il réalise un extraordinaire geste prophétique, qui soutient sa
parole sur le commandement nouveau de l’amour réciproque.
En prenant une coupe durant
son dernier repas et en la faisant passer entre ses disciples, en leur
demandant de faire cela en mémoire de lui, il réalise aussi un geste
prophétique d’une force incroyable. Autour de sa table, on ne pourra désormais
légitimer aucune exclusion au nom des différences de classe, de race, de sexe,
de culture, d’opinion politique…
Revenons à notre texte. Le
geste de Jésus devant la femme a un effet provocateur. En se penchant vers la
terre, il a déstabilise ses ennemis et les renvoie à leur propre nature
terrienne. Eux aussi sont tirés de la glaise. Eux aussi sont agités par les
mêmes désirs et pulsions. C’est leur propre vérité que Jésus écrit sur cette
terre.
Nous ne savons pas ce que
Jésus a écrit sur le sol, mais peut-être que l’indication qu’il écrivait avec
le doigt renvoie au récit du livre de l'Exode, où il est dit que le doigt de
Dieu a écrit les dix commandements sur les pierres.
Jésus ici écrit la loi
nouvelle du pardon et de la miséricorde, qu’il incarnera et révèlera dans toute
sa vie, mais en particulier sur la croix : « Père, pardonne-leur,
ils ne savent pas ce qu’il font ».
Ce récit illustre la parole
du prologue du même évangile de Jean : « La loi été donnée
par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ». En
effet Jésus va plus loin que la loi, il manifeste la grâce et la miséricorde de
Dieu à cette femme et l’appelle en même temps à le suivre en vérité.
Ce geste de Jésus de se
baisser vers le sol conduit aussi à souligner la force de sa parole qui fait
prendre conscience de la dureté du cœur : « Que celui qui n’a jamais
péché lui jette la première pierre ». Le geste et le silence de
Jésus donnent force à sa parole. Une parole qui pardonne et réintègre cette
femme et l’appelle à le suivre : « Moi non plus je ne te condamne
pas. Va et ne pêche plus » !
Jésus, comme tous les
prophètes avant lui, dénonce par des gestes prophétiques le mépris de l’humain,
la convoitise, l’oubli que chaque personne est créée à l’image de Dieu. Il
dénonce l’injustice et l’impiété, à savoir d’utiliser Dieu pour parvenir à ses
propres fins égoïstes.
Il appelle à l’unité, à une
communauté qui accueille et pardonne à celui qui a fait une faute, une
communauté qui inclut l’étranger, qui visite le prisonnier, qui prend soin du
malade, qui protège la vie quand elle fragile, particulièrement à son commencement
et à sa fin.
Il appelle à résister à la
violence, à l’avidité, à l’esprit de jugement et de vengeance, à une
interprétation étroite de la loi.
Y-t-il une place dans ta
communauté pour les marginalisés ? C’est la question qu’il nous pose
toujours, car pour lui, ils sont au centre. Jésus appelle sans cesse à se
décentrer de soi-même et à se centrer sur lui. Il nous attend dans le culte et
la prière, certes, mais aussi dans la vie fraternelle et dans les plus
fragilisés
Acte prophétique et art
J'aimerais maintenant un lien entre ce texte et l’art.
L’art a une fonction
semblable aux actes prophétiques. On pourrait même dire que les actes
prophétiques sont des actes artistiques. Jésus, dans cet épisode de la femme
adultère agit comme un grand artiste.
En effet, devant le piège
tendu par ses ennemis, Jésus fait un geste qui les provoque, les étonne. Il ne
répond pas par une argumentation que les gens n’auraient pas entendue.
Provoquer une réflexion,
susciter l’étonnement, n’est-ce pas une des fonctions de l’art ?
En se baissant et en
écrivant sur le sol, il communique sur un autre registre, non verbal. Il
intrigue, déplace, éveille. Par son silence, il établit aussi un espace de
silence extérieur, qui prépare les personnes à recevoir une parole d’autant
plus percutante.
L’art, comme le geste
prophétique, interroge, éveille et conduit à approfondir et méditer.
L’art
opère une coupure avec le temps. On peut rester longtemps devant une peinture.
Dans notre récit de la femme adultère amenée à Jésus, le geste de Jésus introduit
cette coupure avec le temps. Ses adversaires sont obligés de s’arrêter, de
regarder, de réfléchir. Son geste « artistique » met le holà à leur
voracité.
Souvent
dans l’Eglise, le discours et l’écoute sont privilégiés au détriment des
autres sens. Or les arts conduisent à creuser la Parole et servent de tremplin
au silence. Ils nous introduisent à la dimension contemplative, essentielle
dans notre société si agitée. Ils enracinent en nous l’Evangile de manière
profonde et sont des merveilleux vecteurs pour transmettre l’amour de Dieu.
Martin Hoegger
Martin Hoegger
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